Les livres de voyage


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Laurie Lee (1914-1997)

 

Un beau matin d'été
C'est la route qui l'a éveillé à l'écriture. A dix-neuf ans, il quitte son village natal, dans l'Ouest de l'Angleterre, et s'en va gagner sa vie sur les routes en raclant du violon. Sa première randonnée (1934-1936) le conduit tout d'abord à Londres, où il travaille comme manœuvre sur un chantier - et où une revue publie son premier poème. Puis sur les chemins d'Espagne : expérience qu'il relatera plus tard dans un livre considéré aujourd'hui comme un classique de la littérature de l'errance (Un beau matin d'été, 1969).

Quatrième de couverture :
"Ce matin-là... un adolescent de dix-neuf ans, son violon sous le bras, quitte à pied son village, dans l'Ouest de l'Angleterre, et prend la route de l'Espagne : un pays dont il ne sait à peu près rien...

Nous sommes en 1935. Notre marcheur va, parcourir en un an, de Vigo jusqu'en Andalousie, plus de mille kilomètres au long des sentiers de transhumance et des chemins muletiers. Il va découvrir, à la faveur de haltes dans des faubourgs pouilleux ou dans des hameaux perdus, une Espagne incroyablement primitive, encore toute plongée dans sa sauvagerie native. Les routes ignorent le bitume et les villages l'électricité, les auberges sont à peu de chose près les mêmes que hantait Don Quichotte trois siècles plus tôt. Chaque étape nous entraîne un peu plus loin sur le chemin de la pauvreté absolue... et de la fraternité qui en est l'incompréhensible corollaire. Car le jeune Anglais errant ne tarde pas à se prendre d'amour pour ce peuple qui, du haut de sa misère, l'accueille avec une si touchante générosité, et l'invite bientôt à partager sa révolte.

Horreur et violence (on songe aux "Hurdes" de Bunuel) se mêlent ici tout naturellement à l'émerveillement le plus naïf comme si le goût de l'aventure et la simple poésie des choses de la vie, tempérés par un humour de tous les instants, conféraient à ce "voyage sentimental" la valeur d'un exorcisme."

Cette fausse naïveté privilégie le récit brut à l'analyse, on ne peut que s'en réjouir, ce style fait mouche,  Valladolid, la Sierra de Guadarrama, Cadix, Algésiras et Gibraltar, Castillo, la guerre.

 

VALLADOLID
p119- Vivant chez le Borracho, juste en face de la caserne, je les voyais beaucoup, ces épouvantails à moineaux. Ce que je voyais surtout, c'était l'ordure dont on les nourrissait, et cette étrange humiliation à laquelle se trouvait vouée leur jeunesse, condamnés qu'ils étaient à perdre leur temps.
On chassait les poux, on volait, on jouait pour des quarts de sou, on se querellait, on était saigné à gris par l'ennui, parfois il arrivait que, hasard d'une amitié vaguement réconfortante, on s'allongeât à côté d'un garçon, qu'on recherchât le soulagement solitaire dans quelque petit trot de poésie ou dans l'envol soudain d'une chanson débordante de sexualité. Et puis, quand la pression se faisait trop forte, on descendait vers la rivière et là, dans le noir, on forçait une putain sur les galets durs et mouillés de la rive. Après quoi on s'en revenait pieds nus à la caserne, et parce qu'on avait payé avec sa paire de bottes en carton, on se préparait à aller en prison.

Les soldats, les curés et, dernier cercle, une frange de mendiants - trois catégories sociales aussi silencieuses qu'elles étaient séparées. La nuit, quand la poussière rouge montait de la plaine, on avait parfois l'impression qu'il n'y avait que ça dans la ville. Les soldats et les mendiants erraient à tâtons entre les grandes bâtisses vides et, pas plus qu'ils ne voyaient leurs misères respectives, ils n'étaient vus des curés à soutane noire, lesquels se faufilaient dans les ruelles, la mine onctueuse, ainsi que de gros matous bien rembourrés.

Des mendiants, je me souviens néanmoins comme de quelque chose de très particulier à cette cité - comme d'une horreur qu'elle eût choyée jusqu'à la monstruosité. On les apercevait rarement pendant la journée. Il semblait en effet qu'on ne les lâchât qu'à la nuit tombée, comme des parents fous dont on a honte. Alors, en boîtant, en se bousculant, sautant et rampant, ils sortaient lentement des ténèbres et, au ras des trottoirs, avançaient vers le promeneur dans un concert de murmures et de gémissements cadencés. Il y avait là des vieux, des jeunes et des enfants tout fripés. On était aveugle, on était sourd, on n'avait pas de mains, pas de pieds, on était couvert de plaies, on traînait son corps comme un sac, on était l'incarnation de toutes les malédictions et difformités qui se peuvent concevoir.

Rien ou presque à faire dans les rues, si ce n'était donner à voir ses mutilations, aveuglément demander l'aumône à la nuit vide, brandir ses moignons, montrer des orbites énucléées, bander et dénuder les pires des blessures. Essence même du martyre, les enfants étaient particulièrement silencieux, qui n'avaient même pas idée de tout ce qu'il leur faudrait encore endurer par la suite. Engourdis, ils se tenaient à l'écart, vous regardaient de leurs yeux couverts d'une taie rougeâtre, vous tendaient une paume minuscule et toute ridée.

Jeunes et vieux étaient comme l'émanation même de l'espèce de moyen âge étouffant qui régnait encore dans cette ville pieuse et cloîtrée. Tous étaient infectés par ses pierres mêmes et, ainsi que les effigies vérolées des églises de l'endroit, comptaient au nombre des grands blasphèmes de l'Espagne.

La dernière nuit que je passai à Valladolid fut à la hauteur des fièvres du lieu. Ayant trop chaud pour dormir, je fis la fermeture des bars et y perdis les trois quarts de mon argent. Sur le coup de deux heures du matin enfin, je revins à l'auberge et la trouvai plongée dans une grande agitation.

L'énorme porte d'entrée avait été arrachée de ses gonds et brisée en plusieurs morceaux qui gisaient en travers de la rue. Les trois enfants les plus jeunes s'étaient réfugiés à l'intérieur de la bâtisse et, à moitié nus, se blottissaient les uns contre les autres en gémissant de peur pendant qu'au centre de la tempête, l'épouse du Borracho hurlait au pied de l'escalier. Alors que je n'avais vu en elle qu'un souffre-douleur dénué de toute volonté, je découvris une femme à la stature terrifiante qui, l'œil jaune et plein de folie, brandissait une pelle comme elle eût fait d'une épée à double tranchant.

Elle se tourna vers moi au moment où j'entrais et, pointant l'instrument droit devant elle, eut un geste de fureur aveugle.

- Je le tuerai! s'écria-t-elle. Il est méchant... méchant!
L'un des enfants ayant couru se serrer contre ses jambes, elle cligna des yeux et lui jeta un regard aussi surpris que si elle l'avait vu pour la première fois.

- Non mais! Y rentre à la maison saoul comme un porc et moi, je l'boucle dehors. Mais lui, y casse la porte et il essaie de coucher avec Elvira... avec ELVIRA!

Ayant fait demi-tour, elle se mit à battre le sol du plat de sa pelle en criant son nom

- Ma fille! Ma fille!...

L'outil tinta comme une cloche.

- Je m'en vais les lui faire bouffer, moi, ses cojones!
- Où est-il ? lui demandai-je.

Elle lança un regard furibond vers le haut de l'escalier et, reprise par un accès de rage, se mit à frapper les murs.

- T'es pas encore mort? hurla-t-elle. O toi, prince des porcs, honte de tes pères par-delà les frontières du monde...

Et puis, visage vert à la lumière de la lampe, elle resta là, toute tremblante, la sueur faisant luire ses cheveux emmêlés. Je lui pris la pelle des mains et fus tout étonné de la facilité avec laquelle elle me l'abandonna. Je la laissai et montai au premier.

Arrivé à la moitié de l'escalier, je tombai sur un Borracho qui, étalé sur le dos, pissait le vin et le sang. Tel le taureau abattu, il respirait à petits souffles douloureux et pleurait, tout seul dans le noir.

- Aide-moi, gémit-il.

Je le traînai jusqu'à ma chambre et allumai la bougie. Il avait tout le côté de la figure écrabouillé et saignait beaucoup. Je lui tamponnai et nettoyai le visage du mieux que je pus, le couvris d'un manteau et j'allai me coucher.

Cette chambre, cette auberge... ce fut soudain toute la ville qui me parut dévorée par la misère. Vautré par terre dans son sommeil d'ivrogne, le Borracho marmonnait doucement le nom de sa fille, entre deux crachats qui lui remontaient dans la gorge.
 

La Sierra de Guadarrama
p135 - Il me fallut deux jours pour traverser la Sierra de Guadarrama. A monter ainsi, jusqu'à presque trois kilomètres de hauteur, le long d'une route magnifique toute en blocs de granit, j'eus l'impression de passer sous d'autres climats. Il y avait là des torrents bondissants, de grandes forêts ombreuses, des roches d'éboulis couvertes de plantes grimpantes en fleurs. Nuages qui roulaient depuis les sommets, averses froides qui tombaient par intermittence – alors, suivis de leurs chiens-loups, les bergers se mettaient à courir de tous les côtés –, air qui sentait bon la résine et le miel frais... on aurait cru que l'automne était déjà arrivé.

Je passai ma première nuit dans une chênaie, allongé sur un lit de feuilles aussi mouillées qu'au Pays de Galles. Rosée abondante et clair de lune dur et glacé, je dormis au milieu du tintement continuel des cloches à moutons. Le lendemain matin, je me réveillai en frissonnant et, en guise de petit déjeuner, avalai du fromage de chèvre que la nuit avait détrempé et ramolli. Après quoi je regardai la lumière du soleil descendre insensiblement le long du tronc des pins qui, d'un beau rouge sombre, me firent l'effet de saigner du haut jusqu'en bas. Non loin de là, une cascade dégringolait dans un bassin. Je m'y mis tout nu et y pris un bain aussi rapide que revigorant. D'un froid glacial et viviviant, l'endroit était bien à l'abri des arbres. Ma toilette faite, je m'assis nu sur un rocher moussu et me laissai lentement sécher au soleil. J'avais l'impression de me trouver dans une enclave d'Europe du Nord tant ce lieu disait la splendeur froide des dieux finlandais. Un fin brouillard de poussière de pin verte flottait dans les rais du soleil, cependant qu'au-dessus de moi des écureuils bavardaient en se balançant. A ainsi inspirer cet air froid et sec et humer les senteurs de pins de la montagne, jamais encore je ne m'étais senti aussi seul et plein de vie.

Il était midi lorsque, à quelque dix-huit cents mètres d'altitude, j'arrivai au Puerto de Navacerrado. Je m'y reposai un moment, sous des sommets impressionnants poudrés de neiges estivales. De grands bancs de nuages remontaient les pentes septentrionales de la montagne en roulant, se brisaient sur ses arêtes rocheuses puis disparaissaient. Droit devant moi, de l'autre côté du col, je vis un nouveau pays émerger. Immense, plate comme une peau de vache, avec au loin Madrid comme un ulcère, La Mancha s'étendait à mes pieds.

Bien que la Sierra fût vraiment une barrière physique, la traverser marqua beaucoup plus qu'une simple étape dans mon voyage. En fait, je venais d'effectuer l'une de ces percées aussi soudaines que chaotiques qui, une fois accomplies, ferment à jamais toute possibilité de retour au passé. Frontière, cette Sierra l'était pour moi à plus d'un titre et ce ne fut qu'après l'avoir franchie que je m'impliquai vraiment dans la vie du pays.

Comme la lune, la Sierra avait deux faces bien distinctes : au nord, fourrés verts et silences alpins, tout était froid, ombreux et réservé alors qu'au sud, roche vive qui brûlait, la montagne tombait en falaises abruptes que le soleil semblait mettre à nu, et dont Madrid se servait comme du mur d'une arrière-cour où l'on griffonne des réclames pour tel « couac » ou tel night-club. Pureté voilée, le Nord respirait le calme et la tranquillité pastorale alors que, couvert de cloques, le Sud – et l'on était pourtant encore à une bonne quinzaine de kilomètres de la ville –puait déjà l'ordure entassée dans les rues.

Rien à faire néanmoins. Impatient d'atteindre Madrid, je pressai le pas, dévalai des sentiers de schiste effrité qui traversaient des paysages sans herbe ni arbres. Derrière moi, les sommets montagneux réintégrèrent leurs nuages, me coupant à jamais de ce que j'avais été jusqu'alors. Encore une nuit sur les pentes et j'atteignais la grand-route – soit un vaste bric-à-brac de cafés, de cabanes et de dépotoirs à pneus. C'est là que deux jeunes vendeurs de livres pleins de verve me firent monter à bord de leur camionnette chargée de missels latins. D'humeur très gaie, ils conduisaient à tombeau ouvert et, après m'avoir offert leur carte de visite, me montrèrent du doigt tous les bordels qui jalonnaient l'itinéraire. A dix heures du matin enfin, ils me lâchèrent en plein coeur d'un Madrid qui était lui-même le vrai coeur de l'Espagne.
 

Cadix
p165 - C'était maintenant la fin septembre : après trois mois ou presque passés à traverser l'Espagne du nord au sud, j'arrivais enfin à la mer.

De loin, Cadix me fit l'effet d'un embrasement violent : un dessin qu'on aurait gribouillé en blanc sur une vitre de verre bleu. Étincelante de lumière africaine, la ville était posée sur la baie ainsi qu'un cimeterre.

Je m'aperçus ensuite qu'elle était en fait toute repliée sur elle-même. Espèce de ghetto levantin presque entièrement entouré par la mer, elle tenait du ramassis de taudis cubiste, qu'on aurait enclos à l'intérieur d'un mur d'enceinte du moyen âge, le tout étant relié au continent par une bande de sable sale.

Je m'y installai dans une méchante posada dont les galeries étaient bourrées de marins, de mendiants et de maquereaux. Il n'y avait là pas grand-chose à faire de ses journées, hormis rester assis dans la poussière en attendant que le vent brûlant ait fini de souffler de l'Atlantique.

La police prétendant qu'il était interdit de jouer de la musique dans les rues pour gagner de l'argent, je donnai quelques concerts gratuits. Le plus souvent cependant, je faisais la tournée des cafés avec un frère et une sœur aveugles qui accompagnaient mon violon de leurs tambours en peau de chèvre. Lorsque c'était jour de chance, nous avions droit à des reliefs de repas en guise de paiement. Sinon, nous jouions pour le plaisir ou, plus simplement encore, passions notre temps à bavarder en buvant du vin dans des gobelets fêlés et en mangeant des crevettes dans des cornets en papier.

J'eus vite l'impression de ne rencontrer sur mon chemin que des aveugles, des infirmes, des sourds-muets et des malades dans un état si désespéré que c'était à peine s'ils se donnaient la peine de se plaindre, préférant ne voir dans tout cela que plaisanterie un peu farceuse. Quand ils consentaient à en parler, ce n'était qu'en gloussant et pour me raconter l'histoire de gens encore plus mal lotis qu'eux – les sans-abri qui vivaient dans les égouts arabes et, la nuit, dormaient avec les rats au milieu des excréments. Deux fois par an, les inondations les emportaient à la mer. On me décrivit encore des familles dont les membres grattaient les planchers des auberges dans l'espoir d'y trouver des bouts de crustacés qu'on mettrait à bouillir pour la soupe, ceux enfin qui attrapaient les chiens et les chats avec des pièges et les faisaient rôtir sur des feux de bois flotté. Une nuit même, on m'emmena dans un quartier de taudis proche de la cathédrale pour m'y montrer un bonhomme qui hurlait debout sur un toit : il jouait au fantôme afin de terroriser son propriétaire et l'amener ainsi à baisser le loyer.

J'avais jusqu'alors traversé l'Espagne dans un beau brouillard d'idées romantiques mais, en arrivant dans le Sud, je sentis que le pays devenait plus amer. A cette époque-là, Cadix n'était, de fait, qu'une grande carcasse mise à pourrir au bord d'une mer tropicale infestée de maladies. Perdus, à moitié fous et ne se consolant de leur malheur que grâce à un humour féroce, ses habitants ressemblaient plus à des prisonniers qu'aux citoyens d'un pays quelconque.

Cela faisait presque un mois que j'étais sur la route depuis que j'avais laissé les Campbell à Tolède : un mois de septembre de très grand cru, que j'avais employé à voyager par petites étapes à travers des paysages qu'on eût dits enveloppés dans des peaux de fruits tant ils étaient doucement arrosés. Comme j'avais été heureux de retrouver mes longues marches solitaires, de me remettre à errer sans penser à rien de ville en village, de recommencer à dormir dans les fourrés, dans les oasis de roseaux, là, sous les grands joncs qui sentent l'eau! Au sud de Tolède, il y avait encore eu un peu de campagne verte – oui, avec des arbres bien verts dont la silhouette se détachait sur la terre rouge brique, des arbres si immenses que tout autour d'eux ils semblaient éparpiller des ombres vertes elles aussi, et transformer la poussière en herbe.

Il y avait eu des soirs empourprés, des soirs aussi juteux que le fruit de la treille, des soirs où la lune toute mince paraissait fendre les nuages ainsi qu'une lame de couteau. Et encore il y avait eu des aurores de bref orage, où, dans le noir, je me réveillais sous des gouttes de pluie qui semblaient dégringoler des éclairs eux-mêmes. Seul je me mettais alors en route vers un village où, dans le froid, je restais à attendre qu'on sortît de son sommeil pour me vendre un bout de pain. Gris, le jour se levait, un homme ouvrait une étable, les premières filles venaient chercher de l'eau sur la place.

En rase campagne, la nuit tombait tôt. Il n'y avait alors plus rien d'autre à faire que dormir. Dès que le soleil se couchait, j'entrais dans un champ et, comme l'oiseau s'installe dans son nid, m'enroulais dans ma couverture. Le lendemain matin, je m'éveillai trempé de rosée et, avant que le premier paysan – ou que soleil – ne fût levé, je reprenais la route pour me réchauffer. L'air sentait l'aromate mouillé, tandis qu'au ciel d'aurore brillait encore une lune courbe.

Dans la vallée du Rio Guadiana, je vis des troupeaux de taureaux noirs brouter des champs de poussière orange, et des fermes blanches et carrées comme des forteresses du désert, protégées par des meutes de chiens féroces. C'est là que, quelque part, dans une grange au toit couvert de nids d'hirondelles, une mère et sa fille me firent cuire des oeufs : je me souviens qu'un cheval me regarda les manger, que des poulets couraient sur la table... et que, dans le foin, un vieillard agonisait.

Alors que j'approchais de Valdepenas, un charretier me fit monter avec lui en m'expliquant qu'il n'était pas question qu'on allât à pied alors que lui, il se promenait en voiture. Après quoi, il me remercia de la cigarette que je lui tendais en m'offrant fièrement un concombre miniature. Nous nous arrêtâmes dans une foire de village, ce qui nous valut d'assister à une séance de cirque en plein air. La troupe se composait en tout et pour tout d'un Arabe, d'un singe, d'un chameau et de deux gamins peinturlurés qui soufflaient dans des trompettes.
 

Algésiras et Gibraltar
p187 - L'Afrique, l'Espagne, la vaste courbure de la baie, tout brillait sous une forte lumière couleur de bronze. Tout, sauf ce Rocher qui faisait figure d'intrus. C'en était à croire qu'on l'avait remorqué de Porsmouth et débarqué là, à quelques encablures de la côte, avec son petit toit de mauvais temps encore sur la tête. Entouré par un vaste déploiement de navires de guerre et par une ligne de grues portuaires, l'îlot était de couleur ardoise et, bien à l'écart sous ses nuages, demeurait là, comme immergé dans un déferlement de pluies privées.

Je ne poussai pas plus loin ce soir-là content de rester en l'endroit, je campai en haut de ma colline. Au-dessous de moi, en un ordonnancement de mer et de roches très classique, la vue s'étendait de Ronda jusqu'au Rif avec, au beau milieu, l'embouchure de la Méditerranée, rayée par les sillages délavés des navires qui y suivaient des itinéraires aussi vieux qu'Homère. Dans les airs, comme s'ils brûlaient au soleil couchant, des milans et des émouchets planaient en silence. Soudain, comme montait le crépuscule, les Colonnes d'Hercule s'empourprèrent et, long déversement de lavande, la mer parut s'engouffrer entre leurs pieds. Seul, adossé à un rocher que le soleil avait réchauffé, je finis le peu de provisions qui me restaient, tout en contemplant l'endroit où, au cœur même de cette nuit et de ce jour qui se mêlaient, l'Europe et l'Afrique se frôlaient du doigt.

Tout à coup, l'obscurité ayant gagné, Gibraltar apparut comme une poignée de diamants vers lequel Algésiras tendait des serres de lumière. Et puis une lune énorme se leva au-dessus des flots et resta là, immobile, ainsi qu'une fleur de gel. Malheureusement, le vent monta lui aussi de l'Atlantique. Transi de froid, je m'enroulai dans ma couverture.

Le port d'Algésiras était d'un charme que je n'avais trouvé nulle part ailleurs. Il ne s'agissait pourtant que d'une petite ville de pouilleux construite autour d'un égout à ciel ouvert et puant le poisson et les fruits pourrissants. Il y avait bien là quelques bars où se battre et deux ou trois bordels modestes; mais la grande affaire de l'endroit était visiblement la contrebande. C'était presque à tous les coins de rues que chocolat moisi, bas indémaillables, cigarettes américaines mouillées, stylos Parker qui fuyaient et fausses montres suisses, on vous proposait des articles parfaitement introuvables dans le reste de l'Espagne.

Cela dit, malgré ses tricheries et malhonnêtetés diverses, la ville semblait dénuée de toute méchanceté foncière. Ses pires escrocs même étaient si peu entraînés au mal que personne ne se sentait tenu de les prendre au sérieux. Passerelle entre l'Europe et le Maroc, Algésiras aurait très bien pu égaler Marseille dans le vice mais voilà : le coeur n'y était pas. En dépit des occasions qui se présentaient, on préférait faire dans la petite transgression – et les récompenses moindres qui y étaient attachées.

Dans ce comptoir de règlements pour marchandises sans suite, je séjournai environ deux semaines. Je me souviens d'aurores où les bateaux de pêche rapportaient du thon des Açores, de marchés pleins de melons et de papillons, d'épaves humaines de tous les pays buvant jusqu'à en sombrer dans le multi-linguistique, de yachts transportant en douce de l'or à Tanger... Je passai une bonne partie de mon temps en compagnie d'une bande de jeunes qui gagnaient leur vie en fauchant des sacs à main à l'aide de crochets à poisson; on se débarrassait de son butin dans les bars et les bordels... et l'on mendiait ses repas au couvent du coin. Le chef du gang était un globe-trotter de Lisbonne qui prétendait faire le tour du monde. Malheureusement, il ne manquait jamais une occasion de s'en retourner chez lui sous le vain prétexte qu'il y avait oublié des choses d'une importance extrême. Il ne lui avait pas fallu moins de deux ans pour arriver à Algésiras.

Pour ma part, je me dis qu'il valait mieux en rester au violon. La ville m'en récompensa avec largesse. Mes clients étaient variés et d'un abord relativement simple. C'est souvent qu'ils me prenaient à part pour me demander de leur jouer leur air favori. Pour une raison que je ne m'explique toujours pas, Schubert venait en tête de liste, distançant même les ballades locales où l'on parlait d'amour sur le mode mystique. Un soir, on me conduisit jusqu'à un bateau pour y jouer devant un cuisinier chinois qui, en guise de paiement, me fit cuire un plein sac de biscuits. Il y eut aussi un chauffeur de Cardiff qui tint absolument à ce que je lui interprète « Ris donc, Paillasse » et un groupe de curés ivres qui, eux, voulurent leur « Ave Maria ». Un autre soir enfin, un jeune contrebandier m'invita à jouer une sérénade en l'honneur de sa maîtresse à moitié invalide –au bout de quoi l'on me remercia en m'offrant une montre-bracelet qui, après avoir fait follement tic-tac pendant une heure de temps, explosa soudain en une gerbe de pignons et de petites roues.

Presque amoureux d'Algésiras et de ses vilenies miniatures, j'y serais bien resté indéfiniment. Malheureusement, parce que j'avais encore, à cette époque-là, le projet de faire le tour de l'Espagne en suivant la côte, je quittai la ville pour gagner Malaga.

Avant tout néanmoins, il me fallait régler la question de ce Gibraltar dont vingt minutes de traversée me séparaient à peine. Le Rocher étant trop proche pour que je puisse y résister plus longtemps, je décidai d'aller y passer une après-midi, histoire de montrer mon passeport et de prendre le thé. Ce fut un vieux ferry à aubes qui me fit traverser la baie aux eaux aussi calmes que de l'huile –sauf lorsque des dauphins s'avisaient d'y faire leurs exercices. Je profitai du bref moment où l'on pouvait boire sans payer de taxes douanières pour m'offrir du cognac à un sou le verre.

Au voyageur qui arrive d'Angleterre, Gibraltar évoque le bazar oriental. Venant d'Espagne, je trouvai que, présentant la même police casquée, les mêmes femmes grandes et anguleuses, la même odeur douillette d'épiceries de province, la ville ressemblait plutôt à Torquay '• J'avais vraiment oublié jusqu'à quel point l'atmosphère anglaise est faite de pain blanc, de savon et de soupe instantanée. Même au milieu de ce rassemblement d'Hindous, de Maltais et de Génois, la cuisine à l'autoclave régnait en maître.

La colonie fut loin de me réserver l'accueil auquel je m'attendais. Saisies d'un grand doute, les autorités du port m'examinèrent des pieds à la tête. Alors que le reste des passagers recevait l'autorisation de franchir la frontière sans encombre, je me vis rejeté à l'écart ainsi qu'une pomme pourrie. Des coups de téléphone hachés furent donnés à des officiels fort lointains – prudent, on voulait un conseil... « Son passeport? Non, ça va... Et c'est pas non plus qu'il serait complètement sans un... Enfin, vous voyez... C'est-à-dire que... Enfin, le genre... Voilà... »

Pour finir, on me fit monter dans un camion et l'on m'emmena voir le chef de la police. Homme aimable mais inquiet, celui-ci ne cessa de me répéter :
– Mais enfin qui êtes-vous donc, Monsieur, qui êtes-vous donc? Il faudrait quand même que vous arriviez à comprendre la situation dans laquelle vous nous placez. Permettez-moi de vous dire que ça ne peut pas aller, comprenez-vous... Rien de personnel là-dedans, vous vous en doutez bien mais...

On m'autorisa quand même à rester un jour ou deux, à condition que j'accepte de dormir dans un commissariat où l'on pourrait me tenir à l'ceil. On me donna donc une cellule et une savonnette. Le soir, je jouais aux dominos avec les détenus. Je n'étais certes pas en état d'arrestation mais, pendant la journée, je n'avais le droit de sortir qu'après avoir promis de revenir à la nuit tombée. Cette situation ayant fini par devenir bien ennuyeuse pour tout le monde, après quelques jours d'oeufs au bacon, je fus reconduit à la frontière par un policier.

Quitter ainsi Gibraltar me donna la sensation de fuir un frère aîné placé à la tête d'une prison ouverte. Je retrouvai la terre ferme en franchissant le pont de la Linea et grimpai tout de suite à San Roque, demeure des maires espagnols de la ville. A un moment, m'étant retourné, j'aperçus le Rocher, gris comme une tourelle de canon et tout ruisselant de brouillards, toujours sous son petit nuage de pluies alors que tout autour, dentelé de montagnes aussi bleues que des feldspaths, le continent gisait sous un soleil écrasant. Une fois de plus, l'Espagne m'enserra dans l'étreinte de son indifférence anarchiste : on n'exigeait plus de moi que la seule discipline des bonnes manières. De retour sur la route, je me sentis de nouveau protégé par sa poussière et par un anonymat qui n'avait pas à être remis en question.

Il me fallut cinq jours pour atteindre Malaga en suivant la route toute en montées et descentes qui court entre la mer et les montagnes – cinq jours qu'au milieu d'une lumière étincelante je passai à avancer dans une douce puanteur d'algues, de thym et de coquillages brûlants. De temps à autre, je m'enfonçais dans des bois de chênes-lièges où des gitans s'étaient installés autour de feux de camp allumés au bord d'un petit ruisseau, traversais des champs de haricots parfumés et ruisselants d'une eau laiteuse, arrivais dans des villages qui disparaissaient sous des filets de pêche. Des tours de guet en ruines – dont certaines étaient habitées par des freux endormis – marquaient les promontoires disséminés ici et là le long du chemin. A leurs pieds, enlacés dans une seule et même exhalaison de chaleur, la mer et les rochers demeuraient immobiles.
 

Castillo
p215 - C'est en février qu'eurent lieu les élections – la victoire allait aux socialistes. On n'y vit point une délivrance mais, plus simplement, un éclaircissement au milieu de la confusion générale. Des années d'écoute et d'attente de quelque chose prenaient fin. Brusquement tout était à découvert.

Un Front populaire, qu'ils ont dit; enfin un Gouvernement du peuple. Radieux, Manolo courait partout. Les paysans et les pêcheurs, eux, restaient debout sur la place toute la journée durant. On parlait plus ouvertement mais la tension montait. Les élections leur donnaient certes le pouvoir mais celui-ci était encore trop brûlant pour qu'ils pussent vraiment s'en saisir. De fait, la nouvelle ne signifiait pas la victoire mais la déclaration d'une guerre.

Comme le reste de l'Espagne, Castillo était scindé en deux camps, mieux que jamais séparés. Chacun se mit sur ses gardes. Il ne se passa pas grand-chose au début, les pêcheurs se contentant de mettre la main sur un bateau, cependant que les paysans réquisitionnaient quelques terres. Les propriétaires se tenaient cois, passant leurs journées à marmonner au casino : on regardait à travers les rideaux, on attendait.

Le printemps arriva dans un déferlement de neiges fondues qui, du haut des sierras, emporta une grande tache de terre rouge jusqu'à la mer. Une jeune fille mourut. On la transporta de maison en maison dans un cercueil ouvert. Je me souviens que, doux et calme, son visage était vert comme de la mousse et que le coton qu'on lui avait mis dans les narines ressemblait à un souffle gelé.

Brusquement, une espèce de pellicule d'un vert étincelant se répandit sur les champs. Des milliers de fleurs sauvages recouvrirent les collines desséchées. L'orchidée piqueta la poussière, les rochers furent couronnés d'anémones, partout les fleurs d'amandiers explosaient. Le malaise qui régnait au village faisait lui aussi partie du printemps : tel le sang qui monte à la tête, celui-ci apporta avec lui un très curieux relâchement dans les moeurs. Une liberté nouvelle marquait les rapports entre les sexes.

Jacobo et moi organisions toujours les bals de l'hôtel mais ceux-ci eurent vite fait de prendre une saveur bien différente. Finis les petits marchés au mariage avec demoiselles chaperonnées et soupirants aux cheveux gominés : la piste appartenait désormais aux jeunes pêcheurs, aux ouvriers agricoles pleins de désinvolture dans leurs chemises bleu ciel, lesquels enlaçaient avec assurance leurs cavalières en robe de coton et, un fox-trot trépigné après l'autre, les faisaient tourbillonner par toute la salle.

Encore plus nerveux et agité qu'avant, Herr Brandt comprit ce signe des temps et les laissa entrer sans payer. Ils préféraient la bière très moussante et bon marché au jerez de la bonne société : fier d'être leur camarade, Manolo les servait. De fait, c'était maintenant plus ou moins lui qui, avec le cuisinier et le portier, dirigeait l'hôtel... et traitait Herr Brandt avec une insolence scrupuleuse. Trop orgueilleux pour le voler, il ne lui en fit pas moins comprendre clairement que ces nouveaux clients qu'il avait étaient les seuls qui comptaient.

Filles et garçons, les jeunes de Castillo se servaient de nos bals tapageurs pour se lancer à la découverte de leurs libertés toutes neuves. Pendant ces chaudes soirées de printemps, ils restaient passionnément accrochés l'un à l'autre et, comme si l'intimité était une invention nouvelle, dansaient, se tenaient par la main ou allaient se promener deux par deux sur la plage et là, s'enlaçaient et se dévisageaient interminablement.

Des libertés, il y en avait encore bien d'autres. Des livres et des films que ni l'Église ni l'État n'avaient défigurés firent bientôt leur apparition et, pour la première fois depuis des générations et des générations, apportèrent un souffle d'air frais à ces paysans de la côte.. Pendant un moment, la censure fut même complètement abolie, jusques et y compris dans les journaux et les magazines. Les tabous étant levés, pour un bref instant au moins, dominait désormais l'odeur de la chair, laquelle paraissait s'être littéralement emparée du village. On en venait soudain à rechercher franchement le plaisir, et d'autant plus frénétiquement qu'on sentait bien que le danger menaçait.

Un matin tôt, je reçus un mot de Manolo dans lequel il me demandait d'aller le rejoindre dans un bar. Je l'y retrouvai tête baissée dans un coin, en compagnie de deux personnages minuscules et aux allures d'employés – des camarades de Malaga.
– Lorenzo, lança-t-il, on voudrait que tu nous rendes un service.

Les deux inconnus me jetèrent un regard plein de méfiance.
– S'il en est capable, s'entend, dit l'un d'eux.
– Bien sûr qu'il en est capable! s'écria Manolo. Il a des jambes que c'est de vraies pattes de taureau. La montagne, ça y fait pas peur.

L'affaire était assez simple : on voulait me faire passer un message apparemment innocent à un paysan qui habitait dans la montagne. Je devais lui annoncer la date du prochain arrivage de « pommes de terre à semence » – soit de grenades à main, pour employer un autre langage.
– T'es toujours en train de te balader, reprit Manolo non sans une pointe d'humour. Bien sûr qu'ils te repéreront mais quoi ? Y aura personne pour s'en étonner.

Je leur répondis que j'irais. Ils me dessinèrent un plan à la Peau-Rouge avec rochers, ruisseaux, meules de foin et toute une série de flèches qui, à travers une forêt en arêtes de poissons, conduisaient à une maison perdue dans la colline. Sise au pied de la sierra, à une douzaine de kilomètres à l'intérieur des terres, cette ferme se trouvait dans un endroit où j'avais toujours eu envie de me rendre. Manolo m'ayant fait cadeau d'une demi-bouteille de couac, je me mis en route. Le paysage était printanier, plein des bruits d'une eau bondissante.

Il me fallut environ trois heures de marche pour arriver à destination. Chemin faisant, je ne vis absolument personne hormis quelques groupes de cigognes – plumes ébouriffées, elles trébuchaient ici et là après être tombées du ciel ainsi que parapluies que le vent eût emportés. Ma carte suffisait amplement jusqu'à l'endroit où elle allait. Malheureusement le sentier sur lequel je me trouvais disparaissait tout à coup dans des fondrières. Il y avait effectivement une ferme devant moi, et je la voyais bien, mais un fleuve qui débordait – et dont Manolo ne s'était pas donné la peine de me parler – m'en séparait.

Alors, comme s'il m'avait attendu, un jeune homme sortit des roseaux en rampant. M'ayant examiné d'un bref regard, il appela quelqu'un sur l'autre rive :
– Quelqu'un de Castillo !... Va chercher Ignacio !
Je vis s'ouvrir la porte de la ferme. Une femme s'y montra, partit en courant. Et puis un cavalier apparut, qui se mit à descendre la colline au galop. Sans serrer la bride, il atteignit le bord du fleuve, y plongea et nagea vers nous.

L'homme et sa bête nous donnèrent un instant l'impression de disparaître mais non : naseaux qui reniflaient fort pour mieux respirer, gueule dégoulinante plantée de dents énormes, la monture nageait vite, au ras de l'eau. Ayant touché notre rive, elle se redressa, magnifique, hors de l'eau et nous fondit dessus, droit à travers les roseaux, pendant que d'un geste lent son maître se laissait glisser de sa selle et, soudain debout devant nous dans la boue, nous regardait en souriant.

– Ignacio, m'annonça-t-il, à ton service. Fais ce que je te dis et tu ne te mouilleras pas.
Sa monture ayant effectué un demi-tour, il m'aida à monter et m'ordonna de m'accroupir sur la selle en bois. Après quoi il bondit en avant, penché sur l'encolure, et me conseilla de m'agripper à sa ceinture.
L'animal fit un grand saut, vacilla parmi les roseaux et parut tomber dans un trou sans fond. Ayant mis le cap sur l'autre rive, nous nous enfonçâmes profondément dans un fleuve qui me donna l'impression d'être aussi large que le Congo. A petites vagues qui fouettaient la selle, le flot roulait autour de nous, rejetant de tous côtés une écume vert pâle. Mes bottes s'étant remplies d'eau, je sentis le froid me monter dans les genoux – j'avais soudain la sensation de flotter sur l'onde, monté sur un buffet de cuisine...

Debout sur l'autre rive, l'épouse du fermier me tendit un tablier pour m'essuyer. Nous montâmes à la maison où nous attendait un vieillard tout raide en chapeau haut de forme.
– Blasco Vallegas, dit-il en ôtant sa coiffure, qu'il tint un instant serrée contre son ventre.

Je lui communiquai le message de Manolo. Il hocha brièvement la tête et m'invita à partager son déjeuner.
Mais d'abord, il me montra sa ferme, vaste ensemble de quartiers de roche non retaillés aux interstices bourrés d'argile et au toit recouvert d'un chaume de roseaux.
– Même que c'est moi qui l'ai construite tout seul, fit-il, de mes propres mains... y a quarante ans de ça, quand je me suis marié. C'est ma femme qui me rapportait les pierres de la sierra, une par une, sur sa tête! En dehors de sa petite personne, y a même que ça qu'elle m'ait jamais rapporté...

Il me conduisit à la cuisine, où nous nous assîmes sur des chaises basses, pour boire du vin dans des gobelets en cuir. La pièce n'était qu'un seul et même labyrinthe d'ombres et de lumières violentes qui m'aveuglèrent au début. Peu à peu néanmoins, les parties du puzzle commencèrent à s'emboîter et les détails m'apparurent plus nettement. Le sol était en terre battue, le mobilier avait été taillé à la hache et, sur le dos des chaises, des poulets qui clignaient de l'oeil se trouvaient perchés. Un cochon dormait dans un coin cependant que, dans un autre, une jeune fille agenouillée par terre était occupée à se brûler consciencieusement la figure à l'aide d'une chandelle.
– Ma fille, dit Blasco. Elle n'arrête pas de se molester.

La demoiselle poussa un grand « Aïe! » comme pour lui signifier qu'il avait raison.
– Elle est en train de se soigner un mal de tête... ou autre chose du même tonneau, reprit-il. Elle nous pèse beaucoup à tous.
Il la chassa d'un geste impatient et me versa un autre gobelet de vin avant de se diriger vers un coffre en bois posé le long du mur. Après y avoir fouillé un moment, il s'en revint, rapportant un sac en peau de porc dont il vida le contenu sur la table.
– Regarde! fit-il après avoir séparé deux articles du petit tas qu'il avait trié du doigt.

Le premier objet était une figurine en bronze représentant une déesse nue, le second un bracelet en fer tout rouillé. Il me confia les avoir découverts en labourant –ça et quelques autres babioles aujourd'hui égarées, dont la dent montée en bijou d'une « princesse marocaine ».
– Tu sais depuis quand on habite dans ces collines? me demanda-t-il. Depuis que le soleil est soleil. Depuis bien avant les rois et les autels, depuis bien avant que la Vierge en personne ne soit devenue mère. Depuis l'époque où il y avait des léopards dans les grottes...
Vallegas n'avait rien d'un patriarche – il était trop maigre et rabougri pour ça – mais se débrouillait très bien pour en tenir les discours.

– Tout ce que tu vois ici, ça sort de là et de là, dit-il en me montrant tour à tour ses mains et ses lombes.
Il y avait là sa ferme et ses cinq grands fils qui, Ignacio à s'occuper des chevaux, Curron en bas près du fleuve, les trois autres dans la colline, étaient tous partis travailler, et que je verrais lorsqu'il serait l'heure de manger. Ses filles? Elles ne manquaient pas de grâce, elles non plus... « sauf celle-là avec son mal de tête ». De son épouse il disait qu'elle était son « bréchet ».

Et pourtant, bien qu'il eût tout fait, tout fabriqué, il ne possédait toujours rien, dans cette région où il avait quarante années durant travaillé les terres d'autrui. Mais, ajouta-t-il en clignant des yeux pour regarder par la fenêtre, tout changerait peut-être enfin demain... demain... quand on lui livrerait ses « pommes de terre ».

A se balancer doucement sur sa chaise, le vieil homme donnait l'impression de ne plus se parler qu'à lui-même, alors que déjà il évoquait certaines émeutes qui avaient secoué le passé, les jours où il avait labouré des champs abandonnés, en période de famine, ceux où les soldats étaient venus détruire les récoltes, où des gardes civils montés sur des chevaux aussi grands que des éléphants avaient écrasé femmes et enfants... Les martyres, la faim à en mourir, les prisons, les massacres, les animaux qu'on abat, les propriétés qui brûlent... Cette fois-ci, il le croyait, les soldats seraient de leur côté. La Garde civile, elle, choisirait le parti du diable, comme d'habitude.

Tout en parlant, il caressait un bout de verre où l'on avait peint une miniature représentant la Sainte Famille et que, nous dit-il, il portait autour du cou depuis le jour de sa naissance.

Au retour des fils, nous nous assîmes pour manger et la petite cuisine fut bientôt aussi pleine qu'un fourgon à chevaux. La mère nous apporta un fait-tout rempli d'un ragoût de migas – soit une sorte de porridge de maïs additionné de sardines séchées : nourrissant certes, mais d'aussi bon goût que de la toile à sac. Attentif et édenté, visage qui s'animait parfois comme une tente dans la bourrasque, Blasco mangeait en silence pendant que, tête baissée, ses fils enfournaient goulûment, poussant chaque bouchée avec du pain. L'affaire était sérieuse. On ne parlait pas, mais l'on faisait circuler le pichet de vin avec cérémonie. Les femmes, elles, attendaient derrière. Accroupie près de la cuisinière, la mère jetait à manger au cochon et, debout derrière son père, le front noirci de fumée de chandelle, la fille observait patiemment l'assiette du maître des lieux.

A la fin du repas, les hommes, quelque peu détendus, se dérouillèrent les jambes en grognant. Ignacio cracha dans ses mains pour nettoyer la figure de sa soeur. Un autre frère décrocha un fusil et s'en alla chasser la perdrix.

– Il y en a beaucoup par ici, m'apprit le plus jeune fils. Et aussi des lapins, du cochon sauvage et des cerfs. Mais les cerfs, on n'a pas le droit d'y toucher. Ils appartiennent au duc.
– A qui ça? aboya le père.
Bouchée bée, le gamin marqua un temps d'arrêt et avala sa salive avant de recommencer sa phrase.
– Non, les cerfs, on a parfaitement le droit d'y toucher... à condition d'en trouver, fit-il. Faut dire que maintenant, ils appartiennent à tout le monde... enfin, je crois.

Dures comme l'acier, les semaines qui nous amenèrent à l'été furent d'une chaleur torride. En dehors d'une radio toute grésillante de discours politiques qu'on écoutait dans les bars, le village semblait entièrement coupé du monde. Le long de la côte, la route de Malaga restait désespérément vide sous le soleil. Rares étaient ceux qui se déplaçaient –on tendait l'oreille. Ainsi qu'un demi-cercle de baïonnettes, les montagnes donnaient l'impression d'avoir resserré leur étreinte autour du village. Une atmosphère d'attente planait lourdement au-dessus des maisons, que de temps à autre venaient déchirer de petites explosions de violence gratuite et empoisonnée.

Ce fut tout d'abord l'usine à glace que l'on sabota, puis la centrale électrique que l'on fit sauter – elles appartenaient l'une et l'autre à un marquis. Dérangement mis à part, tout le monde parut grandement apprécier ces actes : le parfum de la dynamite fut bientôt considéré comme tonifiant. Vitrines brisées et portes recouvertes du mot BOÏCOT peint en grosses lettres, un certain nombre de magasins furent dévalisés. Des prêtres qui traînaient dans les rues se firent insulter. On roula et puis jeta tous les tonneaux d'un marchand de vin à la mer. Un peu plus tard, un groupe de vieilles femmes fondit sur la maison du receveur des impôts et lui sortit son mobilier sur le trottoir. Après quoi, elles firent monter le bonhomme dans une charrette avec sa femme et les chassèrent de la ville.

Un matin enfin, quelqu'un mit le feu à l'église.

– Enfin ils y sont arrivés! C'est pas trop tôt! s'écria Manolo.

Nous nous précipitâmes dans les rues qui sentaient encore la douce odeur du bois qui brûle et rejoignîmes la foule des villageois qui s'étaient massés sur la place. L'incendie ravageait le clocher comme une boîte en carton. Tout le monde ou presque avait l'air en transe.

Je me souviens encore des visages de ces pêcheurs qui, vaguement terrifiés mais rayonnants, poussaient de petits grognements de satisfaction chaque fois que les flammes montaient. Devinant confusément l'état d'esprit dans lequel se trouvaient leurs pères, les gamins déchaînés couraient partout en bombardant l'église de pierres. Seules les femmes demeuraient silencieuses : elles plissaient les paupières, observant leurs hommes de côté, et semblaient attendre qu'on ne sait quel destin se mît tout à coup à frapper.

Une semaine plus tard, c'était la fête du saint patron du village et l'on assista à un brusque revirement des coeurs. Encore noire de fumée, l'église fut remplie de lis. Les effigies du Christ et de la Vierge furent sorties au grand soleil et, comme si de rien n'avait été, furent chargées sur les épaules des pêcheurs. Anonymes, invisibles sous la dentelle des draperies, ces derniers recommencèrent à peiner le long des rues, suants, pliés en deux sous le poids de leur fardeau, redevenus soudain les porteurs traditionnels de l'Église.

La procession s'approchant de lui, un paysan ôta sa casquette d'un geste brusque et se jeta à genoux, bras grands ouverts.
– Marie, Sainte Mère de Dieu, intercède en notre faveur auprès de Ton Fils! Ô Reine du Paradis, tue-moi sur le champ! Bénie soit la Vierge de Castillo, mère des flots. Ne nous abandonne pas! Sois éternelle!

On pleura, on se battit la poitrine, on fit contrition. Invincible, Jésus s'était levé à nouveau. Brûlé et insulté, le Christ de Castillo s'en revenait pardonner à ses fils. Oscillant de-ci et vacillant de-là, les saintes effigies qu'on portait sur de véritables radeaux d'iris passèrent en triomphe. Les précédaient, bien en chair et dans leurs robes, des curés à bonnets rouges et d'innombrables jeunes filles tendant des plateaux couverts de pétales.

Tout était redevenu normal. Une fanfare de cuivres joua des airs. Riches et pauvres, on sanglota ensemble. Les paysans s'agenouillèrent en baissant la tête, la relevèrent avec douleur. « Maria! Salvame! » suppliait-on.

Les profanations et les sacrilèges n'avaient été que folies passagères. La Foi, oui, la Foi ainsi qu'elle était depuis toujours, était enfin revenue. Et puis, quelques jours plus tard, quelqu'un remit le feu à l'Eglise. Et, cette fois-ci, la détruisit de fond en comble.
 

La guerre
p229 - Elle commença à la mi-juillet. Cela se fit sans tambour ni trompette : elle n'eut pas les honneurs du journal, d'abord réduite à quelques murmures dans la rue, aux bruits furtifs d'une femme qui sanglotait.

J'habitais maintenant près de l'église, dans la maison d'un écrivain anglais expatrié qui m'avait loué une chambre donnant sur la rade. En sortant ce matin-là, je vis une femme allongée face contre terre sur le trottoir, qui martelait la pierre de ses poings. Quelques voisins se tenaient à ses côtés mais personne n'essayait de la relever : on cherchait plus à l'assister qu'à la réconforter. J'appris qu'elle pleurait son fils. Jeune conscrit, il avait été envoyé au Maroc et, selon elle, y avait déjà trouvé la mort.

Au bar, dans un joli va-et-vient du fantasme à la réalité, Manolo me raconta ce qu'il savait. Des soulèvements antigouvernementaux s'étaient produits dans les garnisons du Maroc espagnol – à Melilla, Tetouan et Larache. Cela dit, poursuivit-il, il n'y avait quand même pas à s'en faire : on avait la situation bien en mains... Le général Francisco Franco, le « Boucher des Asturies », était arrivé des Canaries en avion pour prendre la tête de la rébellion. On parlait d'autres soulèvements à Saragosse, Madrid, Séville... Mais non, le gouvernement les avait matés... Franco lui-même était mort... avait été abattu en mer... arrêté... assassiné... fusillé... Il n'empêche : le sud du pays allait être envahi par les Maures... Mais ils allaient s'y faire tous massacrer avant même de pouvoir avancer d'un centimètre...

Il n'y avait, de fait, aucune nouvelle sûre. Dans les cafés, la radio se taisait, ou bien était brouillée — ou bien encore changeait complètement de hurlements dès qu'on passait à une autre station. Les gens se rassemblaient dans les rues et regardaient fixement le ciel, comme s'ils s'attendaient à y découvrir quelque grandiose proclamation. Et comme toujours, mus par le vieil instinct campagnard, les paysans avaient quitté leurs champs et déferlaient sur le village. Ils amenaient avec eux femmes, enfants, moutons et chèvres, et installaient tout ce monde sous les murs du château. Certains d'entre eux avaient apporté des fusils mais, dans l'ensemble, ils étaient sans armes. Ils s'entassaient sur la place, attendaient tout simplement qu'on voulût bien les utiliser et, le dos à la mairie, comme prêts à la défendre de leurs corps, ils restaient là immobiles, au coude à coude avec les pêcheurs. Il n'y avait toujours pas d'autorités : le camp qu'on dressait ainsi spontanément face à l'inconnu était tout juste défensif. Mais déjà Manolo et El Gato (le chef d'un des syndicats nouvellement formés) avaient commencé à organiser un semblant de milice.

La police ayant soudain disparu, le village était maintenant entièrement laissé à lui-même, peuplé des seuls partisans du gouvernement, prêts à faire face à l'ennemi intérieur. La milice commença à fouiller les maisons de ceux qu'on soupçonnait de « fascisme ». Manolo emmena quelques hommes barrer la route de la côte. Dans le courant de l'après-midi, une voiture arriva de Malaga, roulant à bonne vitesse, toute couverte de poussière. Le véhicule fut retenu au barrage. Les baïonnettes de Manolo l'encerclèrent; on fit ouvrir portières et fenêtres à petits coups légers. En sortirent deux jeunes gens tout pâles qui furent vite dirigés sur la prison pendant qu'on vidait le coffre arrière des fusils et des grenades qu'il contenait. Plus tard, un Français au volant d'une Fiat délabrée, drapeau blanc fixé sur le toit, déclara que la moitié de Malaga était en flammes et qu'on se battait dans les rues. Il ne savait pas qui était en train de gagner, ni même où il allait. Il nous montra une bonne vingtaine d'impacts de balles à l'arrière de sa voiture.

La nuit apporta quelques rumeurs de plus avec elle. Contrebande des ténèbres, celles-ci nous arrivaient à la fois des collines et de la route de la côte. Grenade était tenu par les rebelles — tout comme le village d'à côté, Altofaro. On ignorait toujours le sort de Malaga. En attendant, notre petite forteresse aux idées confuses, coincée entre les montagnes et la mer, semblait cernée par l'incendie qui gagnait des deux côtés.

Bien décidée à empêcher le moindre soulèvement à Castillo, la milice fut très occupée cette nuit-là. Une maison de suspect après l'autre, la fouille révéla la présence d'armes qu'on y avait soigneusement entassées dans de petites caches depuis plusieurs mois, empilées dans des tonneaux à vin, à l'ombre des caves, déposées dans des paniers au fond des puits, dissimulées dans des buffets, des pendules, des cheminées; il y en avait partout. Placé sous la garde des soldats d'El Gato, le butin forma vite un joli tas sur la place : des armes, ces gens-là ne devaient jamais s'en procurer de meilleures tout le temps que dura la guerre civile.

C'est aussi cette nuit-là qu'eut lieu la première vague d'arrestations sommaires. Élégants et résignés dans leurs chemises en dentelle blanche, les jeunes « senoritos » attendaient dans le paseo. La patrouille s'étant approchée, ils se levèrent d'un air désinvolte, éteignirent leurs cigarettes et, sous bonne escorte, s'en furent d'un pas nonchalant. Le curé fut ramassé lui aussi. Je le vis sortir de sa maison la pourpre au front et se faire aussitôt conduire en prison avec quelques autres. Rares furent les « fascistes » du coin qui tentèrent de fuir ou de se cacher. Il était trop tard pour cela.
— Il y avait complot, conclut Manolo au bar ce soir-là.

Sauf que maintenant, on se les tient ficelés comme des mules.

Il avait l'air pâle et épuisé. Il savait que l'effusion de sang était imminente. El Gato lui versa du cognac en lui disant qu'il en aurait besoin pour les exécutions. Manolo se contenta de hocher la tête. El Gato était un individu fort gros et bruyant qui aimait bien taquiner son monde. En plus, il avait déjà beaucoup bu.
– Du feu, c'est ça qu'y va te falloir! reprit-il. Et toi, t'es aussi plein de vengeance qu'un filet d'eau glacée!

Manolo eut un sourire sinistre et se détourna de lui.

Tels étaient les deux hommes, fort mal assortis, qui commandaient maintenant à un village dont le bar était devenu le quartier général. Poing levé en guise de salut, des hommes ne cessaient d'y entrer et d'en sortir : on venait faire son rapport, on partait délivrer quelque message. Malaga tiendrait, affirma El Gato, et si Grenade attaquait par le nord, Castillo serait un véritable nid d'épées auquel il vaudrait mieux ne pas aller se frotter. Le gros problème dans tout ça, c'était Altofaro. Distant d'une quinzaine de kilomètres, ce petit port se trouvait assez près de l'Afrique pour servir de tête de pont au cas où les rebelles auraient décidé de débarquer. De là, il ne leur serait pas difficile de déborder Malaga par l'est. Castillo serait alors la clé de toute la guerre. Aucun fait ne limitant la portée de leurs propos, Manolo et El Gato commencèrent à grandir aux yeux l'un de l'autre. Ils eurent vite fait de se transformer en généraux, en imperators, voire en libérateurs de la péninsule tout entière.

Il était plus de minuit lorsque je rentrai à pied chez moi. Je vis que la prison ainsi que l'arsenal confisqué étaient lourdement gardés. La milice campait dans la rue. On se penchait au-dessus de feux de bois aux flammes vacillantes. Le visage rehaussé de rouge où la pommette saillait, l'œil profondément enfoncé dans l'orbite, les joues creusées par la faim, c'étaient là des soldats tout droit sortis d'un tableau de Goya.
 

 

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