Il se lance dans d'autres sortes d'aventures, consacrées en grande partie à un trafic
de hachich, il achète en Grèce, vers Argos, il donne
quelques conseils pour la culture du hachich
et il vend en Egypte, mais rien de facile, toujours des traquenards à déjouer.
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Le matin, je suis éveillé par la rumeur d'une activité de ruche dont le
bourdonnement emplit la maison. Dans la grange où l'on a porté hier les
sacs, si bien bâtonnés par les serviteurs de Petros, s'agite une foule
de travailleurs dans une poussière dense.
Au milieu de la pièçe une sorte de table analogue à un billard est
formée par un grand tamis métallique à mailles très serrées posé sur
quatre pieds. C'est sur cette machine qu'on jette à la pelle le hachich
pulvérulent.
Un grand drap enveloppe par l'extérieur les quatre pieds de cette table,
empêchant ainsi la poudre très fine tombée du tamis de se répandre en
tourbillons de poussière.
Des femmes, la tête enveloppée de fichus, sans doute pour protéger leurs
cheveux, étendent et agitent avec leurs mains la poudre et la tamisent.
Des hommes prennent ensuite, avec de grandes pelles de terrassiers,
cette poudre ténue et la mettent dans une énorme bassine de fer étamé
pour rendre le mélange homogène.
Mme Petros coud fébrilement à la machine de petits sacs de toile
blanche; qu'une femme prend à mesure qu'ils sont terminés pour y
imprimer avec un tampon de caoutchouc, une sorte de marque représentant
un éléphant. Puis elle les passe à une autre qui les emplit, fait le
poids avec exactitude et enfin les attache.
Une grande presse à balancier reçoit ces sacs, empilés régulièrement
entre les plateaux d'acier. Quand il y en a un certain nombre, un homme
en bras de chemise, aux muscles d'Hercule, manœuvre le balancier de la
vis et les sacs s'aplatissent lentement, jusqu'à devenir des galettes de
trente centimètres sur quinze, épaisses seulement de quatre. Elles sont
dures comme de la cire; c'est la forme commerciale sous laquelle le
hachich est exporté et l'éléphant qui orne chaque paquet est une marque
de fabrique.
Petros aide de temps en temps à serrer les derniers tours de presse avec
l'homme à la haute stature. De celui-là je ne puis voir la figure, à
cause d'une serviette qui lui couvre la tête, ne laissant voir que les
yeux. Mais dans cette fente étroite ces yeux me semblent déjà vus...
Mais oui, je ne me trompe pas, c'est mon curé, c'est Papamanoli. Il se
démasque, en riant, et libère sa grande barbe et ses cheveux roulés en
chignon. C'est pour protéger cette toison luxuriante contre la poussière
qu'il met cette cagoule improvisée. Il est de la famille, donc rien de
plus naturel que de donner un coup de main dans un moment de presse.
Peu à peu ces poussières de hachich excitent ouvriers et ouvrières qui,
maintenant, chantent à tue-tête, plaisantent et se lutinent sans malice
avec des cris et des fous rires déclenchés pour des riens.
Je me sens, moi aussi, entraîné, sans m'en rendre compte, dans ce
tourbillon de gaieté. Jusqu'à ce petit laideron de nièce de Tripoli qui
s'éveille, devient dissipée, prend des familiarités... Fort heureusement
le travail s'achève, sinon je ne sais comment tout cela aurait fini.
Dehors, un plombier achève de souder l'intérieur zingué des caisses où
on va emballer les galettes de hachich.
Pendant que ce travail fébrile prend fin, les servantes dressent une
table à l'ombre d'un immense noyer devant la grange. Elles ont mis leur
robe du dimanche, comme si ce jour était une fête. Un déjeuner nous
réunit autour d'une longue table où tous, maîtres et serviteurs, nous
mangeons en commun comme dans les temps antiques.
Un mouton rôti, des volailles, des truites, enfin un repas
pantagruélique, comme on en voit seulement dans les campagnes aux terres
généreuses, un de ces repas prodigieux dont parlent les chroniqueurs du
Moyen Age. Cependant, ici, tout est décent car, au fond de leurs
montagnes, ces gens simples sont restés trop près de la nature pour
oublier la pudeur. En terminant, je dirai un mot pour ceux qui sont
curieux de toutes choses sur la préparation de la poudre de hachich
telle que je l'ai vue, conservée en cave dans les sacs.
Les champs où pousse le chanvre sont soigneusement sarclés et toutes les
plantes mâles sont éliminées. Les plantes femelles ne peuvent donc plus
porter de grainés, ce qui permet aux feuilles de se charger au maximum
d'une matière résineuse. On augmente encore la richesse de cette
sécrétion en brisant la sommité quand la plante a pris son
développement.
Au moment où les premières feuilles, les plus basses, commencent à
jaunir, on fauche avec précaution, à dix centimètres environ du sol,
pour éviter de souiller la récolte de sable ou de terre. On sèche à
l'ombre et on engrange. Certains cultivateurs conservent seulement les
feuilles car les tiges n'ont aucune utilité. Aux jours les plus froids
de l'hiver, par les fortes gelées, c'est-à-dire quand cette couche
cireuse, sécrétée par les feuilles est devenue cassante comme de la
résine, on brise les plantes séchées en les triturant entre deux toiles
à voile. On recueille ainsi une poussière faite d'un mélange de feuilles
brisées et de cette racine qui constitue la partie active du hachich.
C'est elle qui donne à la poudre ainsi obtenue la propriété de
s'agglomérer à la pression et de se ramollir à la chaleur. Toutes les
fermes travaillent le hachich sur leurs terres, c'est la principale
culture. Chaque domaine a sa marque, son cru, parfaitement côtés; il y a
les bonnes et les mauvaises années, tout comme pour les grands vins.
Voilà donc mes huit caisses soudées et clouées. Toute ma petite fortune
est là, attendant le départ.